Patrimoine en Haut-Sornin
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Le dernier tisseur à domicile de Propières

 


Le couple Béroujon devant un métier tissant des torchons.


Historique de l’atelier de tissage du "Mort"

Au hameau du Mort, à la fin du XIXème siècle habitait un meunier dénommé Thomas Passot. Sa fille Louise se maria avec Joseph Jolivet, tisseur, originaire du hameau Audin. Vers la fin de sa vie, il laissa son moulin à son gendre qui le transforma en atelier de tissage. De Joseph Jolivet et Louise Passot naquit Clotilde qui se maria avec Jean-Claude Berthelier, originaire du hameau des "Jolivets" et tous deux ont pris la suite de l’atelier de tissage.

Leur atelier abritait quatre métiers à tisser actionnés par une roue à eau, alimentée par une dérivation du Sornin tout proche. En 1922, Mr Coste André (maçon) a construit un vaste atelier attenant, de 200 m². Celui-ci contenait vingt métiers à tisser, à raison de trois ou quatre par rangée, suivant leurs dimensions différentes selon qu’ils fabriquaient de la toile d'un mètre de largeur ou d'un mètre quarante.

Mr Antonin Condemine, père d’Andrée, travaillait déjà chez Jean-Claude Berthelier depuis qu’il avait l’âge de 14 ans. Les Condemine habitaient, depuis leur mariage, dans la maison qui fait l’angle, mitoyenne de l’ancien atelier de 4 métiers et qui constitue, aujourd’hui le logement du couple Béroujon.

Suite aux difficultés de gestion de Jean Berthelier, Mr Georges Van de Walle a racheté toute la propriété et a fait fonctionner l’atelier pendant quelques années. Pendant dix-huit mois, Mr Van de Walle avait envoyé Antonin Condemine comme gareur à Poule, avant de lui faire réintégrer l’atelier du "Mort". A cette époque, Antonin habitait une ferme voisine (Aux Condemines) qu’il exploitait en plus de son travail de gareur. L’atelier était très prospère. Mr Van de Walle cède l’atelier à Mr J. M. Démurger de St Igny de Roche. En restant sur place, la famille Condemine change de patron, lequel leur confiait le tissage du coton pour le linge de table. En 1952, Andrée, alors âgée d’une quinzaine d’années, est venue renforcer, pour trois ans, l’équipe existante de huit ouvriers, dans laquelle sa mère travaillait aussi. Chaque ouvrier s'occupait de plusieurs métiers à la fois, qui fonctionnaient au diesel.

Trop taxé par la commune et n’y trouvant plus son compte, Mr Démurger décide de cesser son activité et de la céder à Mr Antonin Condemine, tout en lui promettant de lui fournir du travail. Toujours locataire de Mr Georges Van de Walle, en 1962, Antonin achète la totalité des bâtiments, des métiers et de tous les terrains autour. Souhaitant travailler uniquement en famille, il ne garde que douze métiers, qu'il électrifie. Tout en continuant à travailler pour Mr Démurger, il avait aussi d’autres fournisseurs, mais il gardait le statut d’ouvrier-tisseur. C’est ainsi que l’atelier a tissé du coton pendant 45 ans.

1962, c’est aussi l’installation du jeune ménage, Andrée et Bernard. Antonin partage l'entreprise avec son gendre, chacun ayant six métiers. Tout le monde travaille ensemble, en bonne harmonie.

La venue de Bernard dans l’entreprise permet de diversifier leur activité en tissant du tissu pour chemises, mouchoirs, torchons et même de l’éponge. Certains articles étaient vendus par les camions “L’Auvergnat” qui proposaient ces marchandises à domicile. En riant, Bernard dit avoir tissé des kilomètres de mouchoirs.

Des chauffeurs livraient sur place des rouleaux de fils en chaîne, d'un mètre ou un mètre quarante de largeur, suivant le travail à exécuter. Et des pelotons de fils, pour la trame, qui étaient transformés en canettes dans l'entreprise. Ils apportaient des échantillons pour montrer le travail à faire, en particulier du tissu Vichy, qui partait ensuite dans les ateliers de confection de la région. Puis les livreurs repartaient, le camion chargé de gros rouleaux de tissu. De temps en temps il y avait la visite des employeurs. Rétribués au mètre et aussi suivant le nombre de fils sur une “passée”, leurs revenus étaient fluctuants. Cependant, un bon ouvrier, travaillant vite, bien et beaucoup, pouvait se faire un salaire confortable. Les employeurs établissaient les fiches de paye et s’acquittaient des charges sociales. Ils auraient aimé que le couple Béroujon et les autres tisseurs prennent le statut d’artisans, mais ceux-ci se sont toujours battus pour garder leur statut spécial d’ouvriers tisseurs à domicile.

Tous les ouvriers appartenaient à un syndicat qui les a très bien défendus. Un responsable est monté voir le Ministre pour défendre leur cause et a obtenu de pérenniser leur qualification d’ouvriers tisseurs à domicile. Après le départ à la retraite de son beau-père, en 1972, Bernard Béroujon reprend tout l'atelier, où il travaille seul avec son épouse, en ne gardant que dix métiers. Il modernise l'entreprise : chauffage à air pulsé, métiers à programmateur à carte perforée (à la manière d'un piano mécanique), deux d'entre eux produisant des tissus d'un mètre quatre-vingt de largeur. M. et Mme Béroujon travaillent parfois soixante-dix heures par semaine ; ils tissent principalement des mouchoirs, des torchons, du tissu éponge et du linge de table, pour les marques Nouvelles Galeries, Trois Suisses, la Redoute, le Printemps, DMC.

En 1982, c'est le dernier atelier de tissage de Propières. Des écoles, des groupes, des touristes viennent les voir travailler, ainsi que des canuts de Lyon. En 1997, le 8 décembre, malgré le souhait du donneur d'ordre (patron), les métiers s'arrêtent définitivement, Bernard et Andrée prennent leur retraite. Avec le départ à la retraite du couple Béroujon, le 8 décembre 1997, s’arrête définitivement le tissage à Propières.

L’atelier du "Mort" ferme ses portes et entre dans l’histoire du tissage à Propières. D’après Bernard leur atelier était l’un des plus anciens, si ce n’est le plus vieux de la région et a été le dernier à fermer.
Mr et Mme Béroujon ont aimé leur travail et leur atelier. Ce n’est pas sans pincement au cœur qu’ils ont vu arriver l’âge de la retraite. Dans l’atelier restent des métiers en état de marche. Tomberont ils dans l’oubli ou intéresseront ils les générations futures ?

 

Déroulement du tissage en photos


La canetière comprend 10 barillets, chaque barillet contient 8 bouts
qui permettent d’embobiner les canettes à partir des grosses bobines de fil.

 


Tordage et nouage de la chaîne de 2000 fils. Tissu pour confectionner des mouchoirs

 


La chaîne de fond du dessous est terminée. Préparation de la chaîne du dessus

 


Cabots pour entreposer les canettes à côté du métier

 


Tissu de chemise pour la maison SUCHEL- Rouleau de fil et chaîne qui se déroule

 


Métreuse. Le balancier sert à mettre le tissu en pli.

 

Quelques précisions sur le tissage à Propières

En 1962, sur Propières, 14 ateliers faisaient vivre 15 ménages :
Atelier Vaginay qui tissait de la soie artificielle
Atelier Héraud-Vuaille qui tissait de la soie puis de la toile de parapluie
Pierre Gonin des Condemines
Bernard Béroujon du Mort
Montillet du Méry
Marcel Montillet de la Chirette dont la fermeture a précédé celle de l’atelier Béroujoun
André Chuzeville du Bourg
Emile Chanrion du Brûlé
Paul Bénéthuilière des Correux
Louis Chanrion du Méry
Joseph Billandon des Condemines, succèdant à ses beaux-parents, Joseph et Séraphine Berthelier
Pétrus Monnery du Bourg
François Aulas des Brousses

Cette liste n’est pas exhaustive et mérite d’être affinée.

 

Ce document, réalisé par Jacqueline BERTRAND, Muriel LACHAIZE et Monique VELAY, est le résultat de rencontres avec le couple BÉROUJON, entre 2010 et 2014.

dernière m.a.j. : 30.12.22