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Le
nom de Propières : quelle origine ? (1/3)
(En
patois “Propire”)
L'abbé
Comby, dans
son manuscrit publié en 2011 (photo
1), texte paru également dans l’ECHO
PAROISSIAL de Propières et d’Azolette
en avril 1944, nous livre quelques pistes de recherche.
photo
1
Le
nom de Propières
Il
y a à peine 200 à 300 ans que le mot de Propières
s’écrit tel qu’il est maintenant. Autrefois,
le premier «r» était placé non pas après
le «P», mais après le «o». Dans
les textes les plus anciens, tous écrits en latin, Propières
s’écrivait «Purpureas» en l’an
1100, «Porperiis» en l’an 1295, «Porpreres»
en l’an 1300, «Pourpririis» en l’an 1343.
Quand il s’est écrit en français, on disait
«Porpières» en 1402, «Pourpières»
en 1670. C’est vers cette dernière date que l’on
a fait passer le «r» avant le «o» et que
l’on a dit «Propières»".
L’ORIGINE
DE PROPIÈRES
par Mario Rossi *
(*)
Mario
Rossi est professeur émérite au Laboratoire
CNRS Parole et Langage de l'Université de Provence.
PREMIÈRE
PARTIE
Critique
des premières hypothèses sur l’origine de
Propières.
Trois
hypothèses ont déjà été formulées
sur l'origine du nom de Propières. Mario Rossi nous explique
les raisons pour lesquelles ces hypothèses ne peuvent être
retenues :
1/
Propières, le lieu planté de peupliers
G.Taverdet
(1) propose, comme origine possible de Propières, un dérivé
popularias, le lieu planté de peupliers,
du nom latin du peuplier (populus). La première
syllabe pro de Propières pourrait s’expliquer
par le phénomène plus général, d’origine
franco-provençale, de développement d’un R
adventice après une consonne initiale, comme dans l’exemple
suivant :
Ex.
tabula, la table > la traubye, sur
le modèle du Lyonnais-Forez : étrauble.
Cette
hypothèse est certes intéressante, comme tout ce
qu’écrit G. Taverdet, mais elle pose un premier problème
: G. Taverdet écrit exactement dans une étude sur
les Patois de Saône et Loire (2) que lorsque :
« nous avons une dentale + une voyelle
+ une occlusive (souvent labiale) + L ; derrière
la dentale, va se développer dans certains parlers un r
; ce phénomène est généralement considéré
comme franco-provençal. ». L’exemple cité
de tabula, correspond exactement à ces
conditions : t occlusive dentale, p
occlusive labiale et L ; mais populus
commence par une labiale (p) et ne rentre donc
pas dans le cas de cette règle. On a une explication de
cette impossibilité dans ce qui est dit plus loin (p. 231)
: « r fuit les labiales et semble attiré
par les dentales… ».
Cette
hypothèse pose un second problème : elle veut rendre
compte de la forme Propières, mais celle-ci n’apparaît
qu’au XVIIIe siècle ; auparavant toutes les formes
ont por- dans la première syllabe, pro-
n’apparaît jamais.
Mais
que devient le L dans cette affaire ? Si on examine
les noms dialectaux du peuplier et les rares toponymes qui en
sont dérivés, on note soit que L
se maintient (peuble, Le Peuple, etc.), soit
qu’il disparaît (pivo, En Poubay,
etc.), soit qu’il se prononce y (on dit
qu’il se ‘palatalise’) comme dans traubye
(peupye, peupieu) ; donc pas de rhotacisme (3),
autrement dit pas de passage de L à R.
En conclusion, mis à part celui de la terminaison aRias,
il nous manque deux R pour rendre compte des
formes anciennes purpureas (XIe), latinisation
d’une forme sans suffixe, et porpreres
(1300), latinisation d’une forme suffixée.
En
conclusion, à partir de l’origine supposée
pop(u)larias, qui n’apparaît dans
aucune des formes latinisées anciennes, on attendrait dans
les lieux-dits des dérivés tels que Peublières,
Poublières, Publières, Peubières,
Poubières, Pibières ou Pivières.
Mais à vrai dire il existe trop peu de lieux-dits dérivés
du nom du latin du peuplier pour nous renseigner précisément
à ce sujet.
Enfin
dernier problème et non des moindres : y avait-il des peupliers
sur le territoire de Propières ? Voici ce qu’en dit
l’un des habitants de cette commune, Jacques Chassy : «
Sur la commune de Propières les peupliers sont pratiquement
inexistants, ce n'est pas un territoire très profitable
pour eux. De ce que je peux savoir de la forêt ancienne,
pas de trace de peupliers ». Effectivement, le peuplier,
comme le saule, se développe sur des terrains humides ;
or Propières est un pays de collines en zone montagneuse
dont les terrains ne sont pas favorables au développement
du peuplier. Propières ne peut donc être Popularias,
un lieu planté de peupliers.
2/
Propières, le lieu de la teinture par La pourpre
Selon
A.M. Vurpas et C.L. Michel (4), l'ancien nom de Propières
pourrait être un dérivé de purpura,
la pourpre, et rappeler la présence d'une teinturerie
; les deux formes premières de Propières, purpureas,
et Purpreres (5) qui ne sont pas citées
par les auteurs, tendrait à accréditer leur thèse,
qui est phonétiquement la plus crédible des trois
hypothèses examinées ici.
Mais
la simple lecture de l’ouvrage de l’abbé Comby
sur Propières suffit à écarter cette étymologie
: à partir du XIIIe siècle, la culture du chanvre
était très importante en Haut Beaujolais ; mais
le chanvre était « blanchi » et non teint à
la pourpre ; et déjà en 1268 il y avait à
Tarare une grosse blanchisserie de toile de chanvre » (p.
78). Par ailleurs, la soie qui pouvait être teinte à
la pourpre était absente… et la pourpre également.
Il
convient d’autre part d’avoir présent à
l’esprit que les formes latines de noms de lieux au Moyen
Âge ne sont pas des étymologies, mais des latinisations,
souvent approximatives, de noms de lieux la plupart du temps mal
compris. Il n’est nul besoin de faire appel à la
pourpre pour expliquer Purpureas dont l’étymologie
pourpris, que je propose plus loin (voir sous
Deuxième Partie), rend parfaitement compte.
La latinisation purpureas relève de l’étymologie
populaire comme « Nobiliacum », le
domaine du Noble, pour Noailly qui en réalité
dérive de novalis, la terre nouvellement
défrichée, etc. Les exemples d’étymologie
populaire abondent.
3/
Propières, à côté de la pierre
Bernard
Goyard propose (6) pour l’origine de Propières :
prope petram, à côté
de la pierre.
L’hypothèse
« prope petram », bien qu'ingénieuse,
ne cadre pas avec les formes anciennes. Le passage de petram
à pierre, qu’on appelle diphtongaison (passage
à ie, de e bref latin
accentué), est très ancien (IIIe siècle après
JC), par ailleurs la forme pierre est attestée en 980 et
pié de pedem, le pied,
dans les années 800. Il est alors curieux qu’il faille
attendre le XIVe siècle pour voir apparaître dans
les noms du village la diphtongue ie (Porprières)
qui a une tout autre origine, comme on le verra plus loin. L’étymologie
prope petram laisserait supposer une ancienne
forme Propierre, or la forme Propières n’apparaît
que très tardivement, au XVIIIe siècle. En tout
état de cause, si une ancienne forme propierre
avait existé au Xe siècle, elle n’aurait pas
pu laisser supposer une étymologie « purpureas
», car l’étymologie de pierre était
alors bien connue (soit Petrus, soit petra).
Enfin,
prope petram > propierre,
n’explique pas la présence des deux r
dans Porpreres et dans toutes les formes les
plus anciennes, ni le fait que toutes les formes antérieures
au XVIIe siècle contiennent les syllabes por…
pour…, mais aucune ne présente la suite
pro… qui devrait apparaître la première
si cette hypothèse était fondée.
Je pense que ces seules remarques phonétiques suffisent
à infirmer l’hypothèse prope petram.
(1)
Les noms de lieux du Rhône, Fontaine-les-Dijon,
A.B.D.O., 1987, p. 23.
(2)
Les patois de Saône et Loire, A.B.D.O., Dijon,
1980 (ch. XIII, pp. 221sqt).
(3) Notion linguistique dérivée du grec rhota
qui désigne la lettre R.
(4) Noms de lieux de la Loire et du Rhône, Bonneton,
Paris, 1997.
(5) Les auteurs citent une forme Propreres de
1224 qui est en réalité le Purpreres
de 1300.
(6)
Le mont Tourvéon, Ganelon, tome 2 (p.113).
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